À la source de toute tradition religieuse et de tout chemin spirituel se trouve la conviction que l’existence ne se limite pas à la vie telle que nous la connaissons sur terre, que l’univers est pénétré et rempli d’une autre réalité, plus grande, qu’au cœur de la création brûle un profond mystère qui ne peut être saisi par la raison humaine, mais qui peut être révélé et expérimenté. Le but de notre vie sur terre, et le but de toute religion, est de nous ouvrir à ce Mystère et d’être transformés par lui en un nouveau mode d’être, de devenir le « vrai moi » pour lequel nous avons été créés.
Cette vision d’un monde rempli de la lumière du Mystère est également au cœur du christianisme. Cette vision n’est pas encore la « religion révélée », mais le premier pas nécessaire de l’esprit vers elle – le sol sur lequel la semence de la foi révélée peut être jetée. Sans ce sol, aucune conviction religieuse ne peut prendre racine. Ce serait comme la semence jetée sur un rocher stérile dans la parabole du Christ. Elle ne pourrait pas porter de fruits.
Le cœur de la religion – et le début de la foi – n’est pas un système de doctrine ou de loi morale, mais une attitude d’esprit et un mode de vie ouvert à l’amour de ce que l’érudit allemand Rudolf Otto appelait « das Heilige » — « le Saint ». C’est la conviction que, malgré la souffrance et le mal qui semblent si souvent accabler le monde, au centre de la réalité se trouve non pas l’obscurité de l’absence, mais un grand mystère de présence et d’amour. Le monde est rempli d’une Présence pour laquelle nous n’avons pas de nom, dont nous ne pouvons pas prouver l’existence, mais que nous pouvons reconnaître, dont nous pouvons faire l’expérience et dont nous pouvons nous émerveiller.
Le poète anglais Christopher Dawson dit quelque part que la poésie est « le langage dans lequel l’homme explore son étonnement ». On peut certainement en dire autant de tout grand art et de toute grande littérature, de toute grande science et de toute grande philosophie. Mais, par-dessus tout, on peut — et on doit — en dire autant de la religion.
Nous ne pouvons pas devenir vraiment religieux, vraiment ouverts au mystère de Dieu, tant que nous ne sommes pas capables de nous émerveiller devant le mystère de l’existence – le mystère de l’univers, mais aussi de nous-mêmes. Les personnes véritablement religieuses sont celles qui « ont des yeux pour voir » l’ensemble de la réalité créée embrasée par la gloire et la sainteté de Dieu et qui reconnaissent dans le Mystère de la présence divine la réponse fondamentale à la question du but et du sens de l’existence.
Le sens de l’étonnement et du mystère semble être un don naturel (bien que souvent mal compris) appartenant à chaque être humain. La plupart des enfants dont l’enfance n’a pas été arrachée par la tragédie et le mal semblent le posséder. Les enfants sont conscients du caractère mystérieux des choses. Ils aiment les histoires de magie et d’aventure dans des mondes qui ne sont pas visibles à leurs yeux, mais qui sont néanmoins très réels pour eux.
Les enfants ne réfléchissent pas beaucoup à cette « présence ». Ils ne l’appellent pas « Dieu » – ils n’ont pas du tout tendance à lui donner un nom. Ils la considèrent simplement comme allant de soi. La plupart d’entre nous, en grandissant, perdent ce contact naturel avec le mystère. Nous apprenons à nous méfier de toute expérience d’une réalité qui ne peut être vue ou touchée, qui ne peut être saisie par la pensée ou exprimée par des mots. Ainsi, nous vivons dans un monde plat et raisonnable d’où le mystère et l’émerveillement semblent avoir disparu à jamais et où la foi religieuse apparaît comme une aberration, une fuite de la réalité ou tout simplement comme une folie.
Pourtant, un jour, inattendu et inespéré, le monde que l’on croyait irrémédiablement perdu nous sera peut-être rendu. Dans un moment de lucidité, une ouverture soudaine du cœur, nous pouvons entrevoir à nouveau la réalité mystérieuse que nous considérions comme acquise lorsque nous étions enfants. Nous pouvons à nouveau faire l’expérience de ses merveilles et de ses délices. Aujourd’hui, cependant, nous découvrons que le mystère en présence duquel nous nous trouvons à nouveau est infiniment plus mystérieux que la «magie » de l’enfance et infiniment plus beau que tout ce que nous pouvons voir ou imaginer dans cette vie. Ce mystère, nous le réalisons, est celui de la Présence divine qui remplit l’univers entier de sa puissance et de sa lumière.
Kevin+