Le dernier dimanche de l’année de l’Église est appelé « le règne du Christ » ou « le Christ Roi ». Ce dernier nom semble un peu étrange dans un monde où les rois n’existent plus. Il peut également sembler trop patriarcal. Le « règne du Christ » n’est peut-être pas une grande amélioration, mais les deux expressions tentent d’exprimer la réalité selon laquelle il n’existe aucun domaine de la vie – personnel, communautaire, politique, cosmique – qui ne soit aimé et créé par Dieu, et qui ne doive donc être ramené dans une relation juste par la mort et la résurrection du Christ.
La seigneurie du Christ sur toutes choses comporte de nombreux aspects. Permettez-moi d’aborder le fait qu’il n’y a peut-être pas de plus grande victoire du mal que la réaction de culpabilité et de désespoir qu’il suscite chez ceux qui ont commis un péché, ou la réaction de peur, de colère et de haine chez ceux qui ont été lésés. Inversement, il n’y a pas de plus grande victoire sur le mal que le refus de céder à ces sentiments, d’agir en conséquence, de les entretenir ou de les justifier. Nous vainquons le mal – en nous-mêmes, chez les autres, dans le monde – lorsque nous refusons d’y réagir par davantage de mal, mais au contraire par le pardon, la compassion et l’amour.
Lorsque nous pensons à la victoire du Christ sur la croix, nous l’envisageons souvent sous l’angle de sa souffrance et de sa douleur. En Occident surtout, nous avons tendance à mettre l’accent sur cette souffrance. Il suffit de penser aux centaines et aux milliers de représentations artistiques de la crucifixion qui dépeignent ces souffrances dans le but d’éveiller en nous des sentiments de tristesse et souvent de culpabilité. Nous considérons le Christ avant tout comme une victime du mal, comme un agneau sacrificiel mené à l’abattoir, comme le bouc émissaire qui meurt d’une mort atroce pour que nous puissions être libérés du péché.
Mais ce n’est pas la seule façon, et peut-être même pas la meilleure, de penser à la victoire du Christ sur la croix. Le Christ n’a pas été une victime passive ou un bouc émissaire. Dans la mort comme dans la vie, il était Seigneur, souverain et libre : il a fait ce qu’il a choisi de faire. Lorsqu’il a choisi d’accepter la souffrance et la mort auxquelles tous les êtres humains doivent faire face, c’était son plus grand acte de liberté et son plus grand acte d’amour. Il a annulé le choix fatal que nos premiers parents avaient fait et nous a ouvert le chemin du Paradis.
La proclamation chrétienne de l’Incarnation, de la venue de Dieu dans le monde « dans la chair » pour le sauver, de sa mort et de sa « glorieuse résurrection », est la promesse d’un amour total, inconditionnel et victorieux, par lequel tous les éléments divers sont réintégrés – réunis – et tous les murs de séparation abattus.
La victoire sur le mal a déjà été remportée sur la croix, mais notre propre participation à cette victoire – notre travail d’amour – doit se poursuivre tant que nous sommes dans ce monde. La force, la coercition ou la peur ne peuvent pas vaincre le mal, parce qu’elles ne peuvent pas transformer le cœur. Le cœur ne peut être transformé que par l’amour.
Kevin+